Mis en ligne par Ignace de Witte le 17 mai 2024 (dernière modification le 4 juin 2024)
Notre enquête commence à Paris, au département égyptologie du musée du Louvre, salle 227 précisément, comme un épisode de la série «Belphégor». Puis elle nous entraîne à Alexandrie, Londres, Rome, Genève, etc.
Avec Juliette Gréco et Yves Rénier dans les rôles principaux, «Belphégor» dont l’action se déroule au musée du Louvres, est un mini-feuilleton français en quatre épisodes de 70 minutes, en noir et blanc, créé, écrit et dirigé par Claude Barma, adapté par Jacques Armand d’après un roman d’Arthur Bernèdes, diffusé pour la 1ère fois en 1965
Une grossesse peut parfois mal se dérouler et aboutir à une «fausse couche». On parle alors d’avortement «spontané». Mais l’avortement peut également être «provoqué», soit que la mère ne veut pas mener sa grossesse à son terme (IVG), soit qu’un phénomène accidentel provoque l’avortement (avortement non intentionnel).
C’est très précisément ce dernier cas dont il est question dans le «Code d’Hammurabi», qui est le plus ancien texte de lois connu au monde (1750 ans avant JC). Hammurabi est un roi de la première dynastie qui a régné sur Babylone. Les fouilles archéologiques ont permis de retrouver plusieurs copies complètes et des dizaines de fragments de ce Code, sur des tablettes d’argile et des stèles en pierre.
Le Code d’Hammurabi figure en écriture cunéiforme sur plusieurs supports dont cette stèle en basalte noir conservée au Musée du Louvres, salle 227. Elle mesure 2m25 de haut pour 79 cm de large. © Deror avi
Le «Code d’Hammurabi» n’est pas à proprement parler un recueil de lois mais de cas concrets, rassemblés de façon thématique, c’est plutôt un recueil de jurisprudences civiles et criminelles. L’avortement y est abordé au chapitre coups et blessures: «§ 209 : Si un homme a frappé une fille d’homme libre et a fait tomber son intérieur (avorter), il payera, pour son fruit, 10 sicles d’argent. § 210 : Si cette femme meurt, on tuera la fille (de l’agresseur). § 211 : S’il s’agit d’une fille de mouchkinou dont il a fait tomber par ses coups l’intérieur, il payera 5 sicles d’argent. § 212 : Si cette femme meurt, il payera une demi-mine d’argent. § 213 : S’il a frappé une esclave femme d’un homme libre et lui a fait tomber son intérieur, il payera 2 sicles d’argent. § 214 : Si cette esclave meurt, il payera un tiers de mine d’argent». (V. Scheil, «Loi de Hammourabi», Paris, Ernest Leroux, éditeur, 1904, page 43).
La vie du bébé ne valait pas grand chose à Babylone, 2, 5 ou 10 sicles selon la classe sociale de la mère (esclave, libre ou notable), soit 16, 40 ou 80 grammes d’argent.
Le livre de la Bible «Exode» date de 1000 ans avant JC, soit plus récent de plusieurs siècles que le Code d’Hammurabi. Il évoque au chapitre 21, versets 22 à 25, un cas assez similaire, au point que l’on ne peut s’empêcher de penser que Moïse a voulu souligner la différence entre la loi du Dieu d’Abraham et la loi babylonienne.
Gravure de Gustave Doré : Moïse descend du mont Sinaï avec les Dix Commandements (Exode chapitre 20).
Voici ce que dit Exode 21:22-25 : «22 Si des hommes se querellent, et qu’ils heurtent une femme enceinte, et la fassent accoucher, sans autre accident, ils seront punis d’une amende imposée par le mari de la femme, et qu’ils paieront devant les juges. 23 Mais s’il y a un accident, tu donneras vie pour vie, 24 œil pour œil, dent pour dent, main pour main, pied pour pied, 25 brûlure pour brûlure, blessure pour blessure, meurtrissure pour meurtrissure».
La formulation est identique dans plusieurs Bibles (Louis Segond 1910, Augustin Crampon, J.N. Darby, King James, etc.) Les termes «accoucher» et «sans autre accident», laissent bien entendre que le bébé naît prématurément mais est vivant et bien portant. Cela suppose évidemment que la grossesse est presque à son terme.
Certaines personnes ne l’entendent pas de cette façon et veulent comprendre que lorsqu’il est dit au verset 23 qu’en cas d’accident c’est «vie pour vie, œil pour œil, dent pour dent…» cela concerne uniquement la mère, pas l’enfant qu’elle porte. Et ils avancent un argument péremptoire : le bébé dans le ventre de sa mère a-t-il des dents ?
En fait, Moïse a simplement repris la loi du talion dans les mêmes termes que le Code d’Hammurabi : «§ 196 : Si un homme a crevé l’œil d’un homme libre, on lui crèvera un œil. § 197 : S’il a brisé un membre d’un homme libre, on lui brisera un membre. § 200 : Si un homme a fait tomber les dents d’un homme de même condition que lui, on fera tomber ses dents». (V. Scheil, «Loi de Hammourabi», Paris, Ernest Leroux, éditeur, 1904, pages 41-42).
Pour que cela soit bien clair, certains imprimeurs plaçaient pour cette raison une note en marge pour préciser que l’on parle bien d’accident ou de la mort de la mère OU son enfant. Ici un exemple fameux : la «Bible de Genève», utilisée par Jean Calvin, William Shakespeare, etc.
Bible imprimée à Genève en MDLX (1560).
Note dans la marge pour préciser que l’on parle bien ici de la vie de la mère OU de son enfant
La «Bible de Genève» a été imprimée pour la première fois à Genève (Suisse) en 1557 (Nouveau Testament) et 1560 (Ancien et Nouveau Testaments), par des protestants anglais ayant fuit la persécution de la reine catholique Mary Tudor (surnommée bloody Mary). La «Bible de Genève» a été traduite en anglais directement à partir des textes hébreux, araméens et grecs et se distingue par ses annotations en marge, auxquelles le pasteur réformateur Jean Calvin a collaboré jusqu’à sa mort en 1564. Ces annotations en font la première «bible d’étude».
Des copies ont été envoyées clandestinement en Angleterre jusqu’à l’avènement de la Reine Elisabeth, plus favorable aux protestants, et que la Bible de Genève puisse être imprimée légalement en Angleterre, c’est-à-dire à partir de 1575. C’est toujours la «Bible de Genève» qu’utilise William Shakespeare quand il fait une citation biblique dans Hamlet et toutes ses œuvres. Plusieurs exemplaires de la «Bible de Genève» étaient à bord du Mayflower et c’est la première Bible anglaise a avoir été distribuée dans le Nouveau Monde.
Exode 21:22-25 est rédigé légèrement différemment dans la «Septante» (LXX, Septuaginta ou encore Alexandrine) et ses diverses traductions. La «Septante» est une traduction en grec des textes hébreux, effectuée en 270 avant JC à Alexandrie (Égypte) sous le règne de Ptolémée II.
Ptolémé II est le fils du général Ptolémé, ami d’enfance et compagnon d’armes d’Alexandre le Grand, qui lors du partage de son immense empire obtient l’Égypte, dont il se fait nommer roi en 305 avant JC, et où le grec est la langue officielle. Quand Ptolémé II succède à son père en 284 avant JC, il se fait couronner roi mais il se fait également sacrer pharaon par les prêtres égyptiens.
La traduction de la Torah en grec a permis aux juifs de l’importante communauté juive d’Alexandrie de se réapproprier le texte, car ils ne connaissaient plus suffisamment l’hébreu pour lire la Bible hébraïque en version originale.
Il faut savoir que l’hébreu s’écrit uniquement avec les consonnes, sans les voyelles, et il est extrêmement compliqué, voire impossible de déchiffrer le texte si on ne possède pas les connaissances bibliques nécessaires transmises de façon orale pour compléter les vides, ce qui était le cas des juifs d’Alexandrie, où l’hébreu n’était plus une langue vivante.
La Septante a permis de diffuser la religion juive auprès de tous les intellectuels, le grec étant alors la langue culturelle dominante et Alexandrie le centre du monde helléniste, qui s’étendait de Corinthe jusqu’au Pendjab (Inde). Le «phare d’Alexandrie» était une des 7 merveilles du monde. La vie cuturelle avait comme centre de gravité l’université et sa fameuse bibliothèque, fondée en 288 avant JC, qui, grâce à l’invention du «dépôt légal» a collecté des centaines de milliers de rouleaux de papyrus, écrits ou traduits en grec: tous les navires qui faisaient escale avaient l’obligation de déposer une copie de tous les livres se trouvant à bord.
Kevin Kok est Senior Level Artist à Ubisoft Montreal et il a créé de magnifiques illustrations en 3D représentant la bibliothèque d’Alexandrie pour servir de décor à des jeux vidéo.
La bibliothèque d’Alexandrie contenait des centaines de milliers de rouleaux de papyrus, écrits ou traduits en grec.
Illustration ©
Kevin Kok, Senior Level Artist à Ubisoft Montreal.
Hélas, la bibliothèque d’Alexandrie a été détruite, à quatre reprises : 47 ou 48 avant JC (par Jules César), 272 après JC (Aurélien), 391 après JC (Théodose) puis finalement 642 après JC, par le calife Omar ibn al-Khattâb.
Les textes originaux en hébreu sont partis en fumée mais la Septante a eu le temps d’être largement diffusée dans tout le monde antique. Certains disent que la Septante est un texte inspiré par Dieu car les traducteurs, qui étaient en fait 72 (6 de chacune des 12 tribus d’Israël), ont travaillé sans se concerter et leurs traductions étaient au final toutes identiques. C’est l’historien romain Flavius Josèphe qui a arrondi le nombre de traducteurs à 70, d’où le nom Septante retenu par l’histoire.
Voici Exode 21:22-25 tel qu’on peut le lire dans la Septante (après une nouvelle traduction, du grec vers le français) : «22 Si deux hommes se battent et qu’une femme grosse soit frappée, et qu’il en sorte un enfant non encore formé, le coupable paiera le dommage, selon l’estimation du mari de la femme. 23 Mais si l’enfant est formé, le coupable donnera vie pour vie, 24 œil pour œil, dent pour dent, main pour main, pied pour pied, 25 Brûlure pour brûlure, plaie pour plaie, meurtrissure pour meurtrissure». (source : www.theotex.org)
Cette formulation indique plus clairement que «vie pour vie, œil pour œil, dent pour dent…» concerne bien la maman ET l’enfant qu’elle porte, du moins, et la précision est importante, si celui-ci est «formé». Philo Judaus, un philosophe juif d’Alexandrie (né vers 20 avant JC et mort vers 50 après JC), a salué la sagesse des traducteurs de la Septante sur ce point dans deux de ses ouvrages : «Congressu Quaerendae Eruditionis Gratia», xxiv 137, et «De Specialibus Legibun», iii 108–109.
La «Septante» est certainement une traduction de très grande qualité, c’est celle que Jésus et ses apôtres utilisent lorsqu’ils citent l’Ancien Testament. Mais, la philosophie grecque n’a-t-elle pas un peu déteint sur cette traduction en ce qui concerne certains passages et notamment Exode 21:22-25 ? Essayons de répondre à cette question.
Buste de Demetrius de Phalère au Kunsthistorisches Museum de Vienne (Autriche). Élève d’Aristote, premier directeur de la Bibliothèque d’Alexandrie, il est à l’origine de la traduction de la Torah en grec «Septante». Photo © Yair Haklai
La Bibliothèque d’Alexandrie a été construite durant le règne du roi Ptolémé 1er mais le porteur du projet était Démétrius de Phalère, élève d’Aristote. Ce brillant orateur a été chassé du pouvoir à Athènes en 307 avant JC et il est alors parti refaire sa vie à Alexandrie, où il est devenu conseiller de Ptolémé 1er. C’est Démétrius de Phalère qui a lancé le projet de traduction de la Torah en grec en 270 avant JC, il est donc le père spirituel de la «Septante» mais il n’en demeure pas moins un philosophe disciple d’Aristote.
Il y a plusieurs courants philosophiques dans la Grèce antique. Pour Pythagore, la vie commence à la conception alors que les stoïciens soutiennent que la vie commence au premier souffle. Pour Platon, les âmes sont immortelles et préexistent au corps, puis elles chutent dans un corps au moment de la conception, avant de retourner lors de la mort à leur situation originelle incorporelle. Dans son ouvrage «L’exégèse d’Exode 21,22-25 : Les Pères de l’Église et l’avortement» (pdf 2 Mo) Roxane Humbert-Droz explique que pour Aristote (page 18) : «le fœtus possède dès la conception une âme végétative (qui fait qu’un être humain se nourrit, croît et se reproduit) et animale (qui fait qu’un être sent et se meut), mais l’âme rationnelle du fœtus (qui seule intéressera véritablement les chrétiens, et à laquelle ils donneront aussi le nom d’âme spirituelle), qui fait de lui un être humain, apparaît au cours de la gestation, lorsque l’embryon a achevé sa formation et acquis forme humaine, soit au quarantième jour pour un mâle, au quatre-vingtième pour une femelle».
«L’École d’Athènes» de Raphaël (détail). Platon, le bras tendu vers le ciel, parlant avec Aristote.
La fresque se trouve au Vatican. Parmi les autres personnages représentés, il y a Pythagore, Diogène, Avéroes, Épicure, Socrate, etc.
Saint Thomas d’Aquin (italien né en 1224, mort en 1274) adopte une position très proche de celle d’Aristote, bien résumée par le frère Gilles Emery, dominicain, docteur honoris causa de la faculté de théologie de l’université pontificale Saint Thomas d’Aquin de Rome et professeur à l’université de Fribourg (Suisse). Dans un article publié en 2000 intitulé «L’unité de l’homme, âme et corps, chez S. Thomas d’Aquin», il écrit (page 12 note 49) : «Pour S. Thomas, l’embryon humain est tout d’abord animé par une âme végétative, puis par une âme sensitive : chacune tient lieu de forme substantielle de l’embryon en ces deux premiers états. Lorsque Dieu infuse l’âme spirituelle à l’embryon, cette âme spirituelle remplit désormais toute seule et de façon exclusive la fonction de forme substantielle. La forme sensitive cesse d’être forme, elle se corrompt ou se résorbe dans la forme substantielle unique qu’est l’âme spirituelle. La succession des formes s’opère ainsi à la manière d’une assomption incluante, suivant un délai. D’après les théories médicales de son temps, Thomas estime ce délai à 40 jours pour les garçons, et mentionne d’après Aristote une durée de 90 jours pour les filles !»
Le Frère Gilles Emery OP est un universitaire spécialiste de Saint Thomas d’Aquin
On notera que l’islam a une conception assez semblable. Le Coran dit (Sourate 23 Al Muminoon - Les croyants verset 12-14) : «…Nous avons certes créé l’homme d’un extrait d’argile, puis Nous en fîmes une goutte de sperme dans un reposoir solide. Ensuite, Nous avons fait du sperme une adhérence; et de l’adhérence Nous avons créé un embryon; puis, de cet embryon Nous avons créé des os et Nous avons revêtu les os de chair…». Une parole du prophète rapportée par al Bukhârî (hadith n°6594, en anglais sur www.sunnah.com), précise (extrait traduit) : «Chacun de vous a recueilli dans le ventre de sa mère pendant quarante jours, puis se transforme en caillot pendant une période égale (quarante jours) et se transforme en un morceau de chair pendant une période similaire (quarante jours) et ensuite Allah envoie un ange et lui ordonne d’écrire quatre choses, c’est-à-dire sa provision. son âge, et s’il sera du nombre des misèrables ou des bienheureux. Alors l’âme est insufflée en lui.…».
Cette philosophie est intellectuellement séduisante, mais ces histoires de 40, 80, 90 et 120 jours n’ont aucune base biblique. Pire, si on n’y prend pas garde, on risque de s’égarer. TOUTES les légalisations de l’avortement reposent sur une approche «gradualiste» de la vie, qui consiste à dire qu’au début ce n’est qu’un «amas de cellules», qui évolue dans le ventre de sa mère et, à un certain moment, cet amas de cellules devient un être humain, avec des droits. Nous allons y revenir.
En parlant de bébé «formé», la Septante n’adhère pas à l’idéologie gradualiste, elle est simplement cohérente avec l’état des connaissances gynécologiques de l’antiquité. Car au tout début de la grossesse, certaines femmes ne savent même pas qu’elles sont enceintes. À l’inverse, certaines femmes se croient enceintes alors qu’elles ne le sont pas. Pour éviter une erreur judiciaire lourde de conséquence («vie pour vie») les anciens voulaient s’assurer que ce que la femme avait expulsé suite au coup qu’elle avait reçu était bien un bébé, en fixant comme critère qu’il devait être «formé», comprendre avec une tête, un corps, des bras et des jambes, que l’on distingue dès que le bébé mesure environ 3 cm de la tête à la pointe des fesses (il est en effet recroquevillé).
L’autre Bible qu’il faut toujours consulter dans un travail sérieux, c’est la «Vulgate», autrement dit la Bible du Vatican, en latin. C’est à l’origine une initiative du pape Damase 1er qui, au 4e siècle après JC, s’inquiétait de la mauvaise qualité de nombreuses traductions en latin en circulation («vetus latina»). Jérôme de Stridon (saint Jérôme) a collaboré à cette œuvre entre 398 et 405 après JC, n’hésitant pas à apprendre un peu d’hébreu en Syrie et partir à Jérusalem pour y consulter des rabbins. La «Vulgate» a cependant mis longtemps avant de convaincre, même au sein de l’église romaine. Ce n’est qu’avec l’imprimerie de Gutenberg qu’elle a connu son essor, c’est-à-dire mille ans plus tard (1450).
La Vulgate est la Bible «officielle» du Vatican depuis le Concile de Trente (Italie), qui s’est déroulé du 13 décembre 1545 au 4 décember 1563 (oui, le concile a duré 18 ans !)
La Vulgate a été plusieurs fois remise en cause. En janvier 1592, l’une des toutes premières décisions du nouveau pape Clément VIII est de rappeller tous les exemplaires de «Vulgate Sixtine», au motif qu’elle contient trop d’erreurs. Il lance des travaux de révision et publie dès novembre 1592 la «Vulgate Clementine» dont voici le passage Exode 21:22-25: «22. Si rixati fuerint viri, et percusserit quis mulierem prægnantem, et abortivum quidem fecerit, sed ipsa vixerit : subjacebit damno quantum maritus mulieris expetierit, et arbitri judicaverint. 23. Sin autem mors ejus fuerit subsecuta, reddet animam pro anima, 24. oculum pro oculo, dentem pro dente, manum pro manu, pedem pro pede, 25. adustionem pro adustione, vulnus pro vulnere, livorem pro livore».
En français : «22. Si des hommes se sont disputés et que l’un d’eux frappe une femme enceinte et provoque un avortement, mais qu’elle même survit : il sera passible de dommages et intérêts autant que le mari de la femme l’a demandé et que les arbitres ont jugé. 23. Mais si sa mort survient, il rendra âme pour âme, 24. œil pour œil, dent pour dent, main pour main, pied pour pied, 25. brûlure pour brûlure, plaie pour plaie, meurtrissure pour meurtrissure».
La «Vulgate» utilise le verbe «avorter» et pas «accoucher». Elle ferme ainsi la porte à l’éventualité que le bébé vienne au monde prématurément mais vivant et en bonne santé. Partant de ce principe, il est logique que seule la mère soit concernée par «vie pour vie, œil pour œil, dent pour dent…», pas le bébé qu’elle porte.
Une des Bibles traduites en français à partir de la «Vulgate» les plus recherchées est celle-ci, éditée en 1866 et illustrée par Gustave Doré. Un exemplaire se trouve à la Médiathèque François Mitterand de Saint-Denis de La Réunion.
Cette «traduction nouvelle» à partir de la «Vulgate» publiée en 1866 n’utilise pas le verbe «avorter» mais l’expression synonyme «mettre au monde un enfant mort».
En 1979, le pape Jean-Paul II a donné son approbation à une nouvelle rédaction de la «Vulgate», appelée «nova vulgata», que l’on peut lire en ligne sur le site officiel du Vatican. En ce qui concerne Exode 21:22-25, elle conserve le verbe «avorter» mais comporte tout de même deux modifications : «mais qu’elle même survit» devient «sans autre accident (sed aliud quid adversi non acciderit)» et «Mais si sa mort survient» devient «Mais s’il arrive un accident (Sin autem quid adversi acciderit)». Ces modifications ne changent pas le sens général.
André Bellegarde (joué par Yves Rénier) est bien décidé à percer le mystère du fantôme du Louvres, comme nous celui d’Exode 21:22-25 !
Nous constatons donc des «glissements» de sens d’une Bible à l’autre mais toujours au niveau des traductions, et des traductions de traductions, confirmant l’adage populaire «traduire c’est trahir». Il est temps d’aller à la source, c’est-à-dire au texte en hébreu.
Le texte original écrit par, ou du moins sous la dictée de Moïse a disparu depuis longtemps, de même que malheureusement tous les textes qui ont servi à la «Septante» et même la «Vulgate» de saint Jérôme.
Il nous reste cependant le «Texte Massorétique», Massorah (מָסוֹרֶת) voulant dire tradition en hébreu. Les Massorètes ont accompli un travail formidable à partir du 9e siècle après JC. Se référant à la tradition orale hébraïque, ils ont ajouté, non pas dans le texte, mais sous les consonnes, des signes pour indiquer les bonnes voyelles à utiliser, accompagnés de commentaires en marge. Le texte d’origine en hébreu reste donc intact. Les Massorètes sont l’équivalent des «moines copistes» qui au Moyen-âge recopiaient manuellement la Bible.
La Bibliothèque nationale de France, département des manuscripts, possède une «Bible hébraïque» copiée à Tolède en 1272 par des Massorètes.
Une page au hasard : notez les symboles sous les lettres (consonnes) pour indiquer les voyelles à utiliser, et les commentaires en marge, en haut, en bas, de chaque côté et entre les colonnes.
Exode chapitre 21 versets 22 à 25 dans le Texte Massorétique
Nous avons sommairement décortiqué Exode 21:22-25 dans le texte Massorétique à l’aide de Strong, que connaissent tous ceux qui étudient la Bible. Pour rappel, Strong est un référentiel de tous les mots utilisés dans la Bible, il comprend +5000 entrées en grec (Nouveau Testament) et +8000 entrées en hébreu (Ancien Testament). Strong compare tous les versets où exactement le même mot en hébreu (ou grec) est utilisé pour en établir le ou les sens bibliques. Comme l’hébreu se lit de droite à gauche et le français de gauche à droite, nous présentons le texte sous forme d’un tableau qui se lit de haut en bas, seul moyen pour que la traduction à l’aide de Strong soit en face du terme hébreu correspondant et que ce soit lisible.
(Les liens vers la référence Strong complète ne sont pas encore actifs)
Exode Chapitre 21 |
||
Strong Hébreu |
כב | 22 |
---|---|---|
3588 kiy |
וְכִֽי־ | Si |
5327 natsah |
יִנָּצ֣וּ | se querellant |
582 enowsh |
אֲנָשִׁ֗ים | des hommes |
5062 nagaph |
וְנָ֨גְפ֜וּ | heurtent |
802 ishshah |
אִשָּׁ֤ה | une femme/épouse |
2030 hareh |
הָרָה֙ | enceinte |
3318 yatsa |
וְיָצְא֣וּ | faire sortir/accoucher |
3206 yeled |
יְלָדֶ֔יהָ | enfant |
3808 lo' |
וְלֹ֥א | sans |
1961 hayah |
יִהְיֶ֖ה | suivre |
611 acown |
אָס֑וֹן | malheur, accident |
6064 anash |
עָנ֣וֹשׁ | certainement |
6064 anash |
יֵעָנֵ֗שׁ | être puni |
834 aher |
כַּֽאֲשֶׁ֨ר | selon |
7896 shiyth |
יָשִׁ֤ית | est imposée |
5921 al |
עָלָיו֙ | par |
1167 ba`al |
בַּ֣עַל | maître, mari |
802 ishshah |
הָֽאִשָּׁ֔ה | de la femme |
5414 nathan |
וְנָתַ֖ן | être infligé |
6414 paliyl |
בִּפְלִלִֽים׃ | le juge |
Strong Hébreu |
כג | 23 |
518 im |
וְאִם־ | si |
611 acown |
אָס֖וֹן | malheur, accident | 1961 hayah |
יִהְיֶ֑ה | arriver |
5414 nathan |
וְנָתַתָּ֥ה | être infligé |
5315 nephesh |
נֶ֖פֶשׁ | vie |
8478 tachath |
תַּ֥חַת | pour | 5315 nephesh |
נָֽפֶשׁ׃ | vie |
Strong Hébreu |
כד | 24 |
5869 ayin |
עַ֚יִן | œil |
8478 tachath |
תַּ֣חַת | pour |
5869 ayin |
עַ֔יִן | œil |
8127 shen |
שֵׁ֖ן | dent |
8478 tachath |
תַּ֣חַת | pour |
8127 shen |
שֵׁ֑ן | dent |
3027 yad |
יָ֚ד | main |
8478 tachath |
תַּ֣חַת | pour |
3027 yad |
יָ֔ד | main |
7272 regel |
רֶ֖גֶל | pied ou jambe |
8478 tachath |
תַּ֥חַת | pour |
7272 regel |
רָֽגֶל׃ | pied ou jambe |
Strong Hébreu |
כה | 25 |
3555 keviyah |
כְּוִיָּ֔ה | brûlure |
8478 tachath |
תַּ֣חַת | pour | 3555 keviyah |
כְּוִיָּ֔ה | brûlure |
6482 petsa |
פֶּ֖צַע | blessure |
8478 tachath |
תַּ֣חַת | pour | 6482 petsa |
פָּ֑צַע | blessure |
2250 chabbuwrah |
חַבּוּרָ֕ה | meurtrissure |
8478 tachath |
תַּ֖חַת | pour |
2250 chabbuwrah |
חַבּוּרָ֕ה | meurtrissure |
ס | S |
Notre traduction littérale d’Exode 21:22-25 avec Strong est un peu rugueuse mais compréhensible. Moïse a choisi le mot וְיָצְא֣וּ («yatsa» Strong Hébreu 3318), qui veut dire «faire sortir» et dans certains cas «accoucher»). Il n’a pas utilisé ונֶפֶל («nephel» Strong Hébreu 5309), qui se traduit par «avortement, fausse-couche». Malheureusement, cela ne suffit à faire pencher la balance en faveur de l’interprêtation selon laquelle «vie pour vie» concerne la mère ET son enfant. En effet, Moïse n’a pas utilisé le mot יָלַדל («enfanter» «yalad» Strong Hébreu 3205) qui était plus adapté dans ce cas.
C’est confirmé par Salomon de Troyes (né vers 1040 à Troyes et décédé en 1105), surnommé communément Rachi selon l’acronyme de Rabbi Chlomoh ben Yitshak, qui est le commentateur de la Bible le plus respecté au sein de la communauté juive. Rachi indique clairement que seule la mère est concernée.
Une fois passé au crible de la Septante, la Vulgate et du Texte Massorétique, Exode 21:22-25 conserve donc une part importante de mystère, avec plusieurs sens possibles. Et comme c’est le seul et unique cas d’avortement évoqué explicitement dans la Bible, on ne dispose même pas d’un autre passage de la Bible pour confirmer la lecture selon le sage principe de «La Bible explique la Bible». Exode 21:22-25 a aussi l’inconvénient de parler d’un avortement accidentel, mais pas d’un acte intentionnel, alors que c’est le vrai débat qui nous préoccupe (IVG).
On peut d’ailleurs se poser la question : pourquoi diable (!) la Bible n’a-telle pas abordé le cas d’un avortement provoqué intentionnellement ? Pierre Cruveilhier (1868-1941), docteur en théologie, professeur d’écriture sainte au grand séminaire de Limoges et spécialiste d’assyriologie, a répondu à cette question dans son «Commentaire du Code d’Hammmourabi (pdf 16 Mo)» paru juste avant guerre, en 1938. Il écrit (page 206) que la loi Assyrienne au 9e siècle avant JC «punit par l’empalement et la privation de sépulture la femme s’étant livrée à des manœuvres abortives. On s’étonne que le crime de l’avortement volontaire n’ait point été prévu dans les autres codes. Il se peut que dans les sociétés babylonienne et Israélite, ce crime était si peu fréquent que l’on ait négligé de légiférer à son sujet et qu’on ait laissé au mari ou à l’indignation publique le soin de le châtier».
L’avortement était également rare dans la société grecque. Tout le monde a entendu parler du «serment d’Hippocrate». Ce médecin grec, contemporain de Platon et Aristote, est né vers 460 avant JC et décédé vers 370 avant JC. Sénèque dira de lui (Lettres à Lucilius 95.20) : «Hippocrate est le plus grand des médecins et fondateur de la médecine».
Émile Littré, connu pour son dictionnaire, a également traduit en français les œuvres complètes d’Hippocrate
Le «serment d’Hippocrate» a fortement évolué au fil du temps mais une sommité de la littérature française, Émile Littré, a publié en 1839 le texte original, en grec et sa traduction en français, et on peut y lire : «Je jure par Apollon, médecin, par Esculape, par Hygée et Panacée, par tous les dieux et toutes les déesses, les prenant à témoin que (…) je ne remettrai à aucune femme un pessaire abortif…»
Le «pessaire abortif» est un tampon féminin imbibé de poison et enfoncé dans le vagin.
L’avortement était donc rare dans la société grecque. Il l’était aussi dans la société romaine, du moins quand Rome était à son apogé. Hélas, Rome a ensuite sombré dans la luxure, avec son corollaire inévitable.
«Romains de la décadence», tableau de Thomas Couture, 1847, exposé au rez-de-chaussée du Musée d’Orsay. Le tableau mesure 7m72 de long et 4m72 de haut, les personnages y sont donc représentés grandeur nature.
Ovide, poète latin (né en 48 avant JC et mort en 17 ou 18 après JC), parle sans honte de l’avortement dans deux poèmes de son recueil «Les Amours» (livre II élégies XIII et XIV). La Corinne dont il parle, sa muse, est une «hétaïre», une femme de bonne éducation, capable de converser en société et qui propose aux messieurs en ayant les moyens ses services que l’on appelle aujourd’hui d’escort-girl.
Ovide, «Les Amours», livre II élégie XIII et XIV
Au temps des romains, l’avortement volontaire concerne essentiellement les prostituées et les relations extra-conjugales, et il est associé à des rituels païens comme le confirme le 1er poème. Deux bonnes raisons pour s’attirer les foudres des religions hébraïque et chrétienne.
Aujourd’hui, les mœurs de certains ressemblent peut-être au tableau de Thomas Couture «Romains de la décadence» mais surtout, l’avortement est devenu un enjeu politique pour les partis «progressistes», obligeant les plus hautes autorités religieuses à faire entendre leur voix.
Ainsi, le 4 juin 1991, le JT de 20h de France 2 diffuse les propos très durs du pape Jean-Paul II à propos de l’avortement lors de sa prédication à Radom en Pologne. Le souverain pontife compare l’avortement au génocide des juifs et des gitans, il évoque le 5e commandement «tu ne tueras point» et parle d’un nouveau cimetière des victimes de la cruauté humaine de ce siècle : «le cimetière des enfants non nés».
Le mercredi 15 septembre 2021, sur le vol retour de son voyage officiel en Hongrie et Slovaquie, le Pape François a lui aussi rappelé la position de l’Église catholique concernant l’avortement : «Le problème, celui de l’avortement : c’est plus qu’un problème, c’est un meurtre. Qui pratique l’avortement tue, sans demi-mesure. Prenez n’importe quel livre sur l’embryologie pour les étudiants en médecine. La troisième semaine après la conception, tous les organes sont déjà là, même l’ADN… C’est une vie humaine, cette vie humaine doit être respectée, ce principe est tellement clair !» (transcription)
Le pape François adopte un ton différent de Jean-Paul II. Il sait que les athées sont sourds aux arguments religieux. Par contre, ils écoutent la science.
Et selon la science, la vie commence dès la toute première cellule, formée de la fusion des deux gamètes des parents, l’ovule de la mère et le spermatozoïde du père. Cette première cellule (zygote) contient tout le patrimoine génétique, unique, du nouvel individu, 46 chromosomes, dont 23 du père et 23 de la mère. Pour la science, le fœtus n’est pas un simple «amas de cellules», c’est un être humain à part entière, à un stade précoce de son développement. Il possède en lui-même le programme génétique complet pour devenir un homme ou une femme. Il grandit, par reproduction cellulaire, et il assimile la nourriture pour produire son énergie.
En abordant le problème sous l’angle scientifique, le pape François (et d’autres) ont indéniablement repris la main sur le débat. L’avortement n’est pas seulement un problème de morale chrétienne mais de morale tout court : est-il permis de supprimer intentionnellement 1) un être vivant, 2) de l’espèce humaine, 3) innocent et 4) sans défense ? Le bébé dans le ventre de sa mère répond à ces 4 critères.
Cette approche «pro-vie» est scientifiquement correcte et conforme à la Bible, pour qui le bébé dans le ventre de sa mère est incontestablement un être vivant et une créature de Dieu, dès sa conception : (Psaume 139:16) : «Je n’étais encore qu’une masse informe, mais tes yeux me voyaient, et sur ton livre étaient inscrits tous les jours qui m’étaient destinés avant qu’un seul d’entre eux n’existât», (Jérémie 1:4-5) : «La parole de l’éternel me fut adressée, en ces mots : Avant que je t’eusse formé dans le ventre de ta mère, je te connaissais, et avant que tu fusses sorti de son sein, je t’avais consacré, je t’avais établi prophète des nations», ou encore (Psaumes 22:11) : «Dès le sein maternel j’ai été sous ta garde, Dès le ventre de ma mère tu as été mon Dieu».
Le Nouveau Testament dit (Jean 1:1-3) : «Au commencement était la Parole, et la Parole était avec Dieu, et la Parole était Dieu. Elle était au commencement avec Dieu. Toutes choses ont été faites par elle, et rien de ce qui a été fait n’a été fait sans elle». Et l’ancien Testament (Genèse 1:3) : «Dieu dit : Que la lumière soit ! Et la lumière fut».
La Bible n’est pas n’importe quel texte, c’est la Parole de Dieu. Il existe un lien extraordinaire, surnaturel, pour ne pas dire magique, entre la parole de Dieu et ce que cette parole désigne. Platon partage ce point de vue. Mais pour Aristote (lire à ce sujet les ouvrages de Léone Gazziero), le langage est une construction humaine, les mots prononcés sont les symboles des sentiments de l’âme et les mots écrits sont les symboles des mots prononcés, ces symboles étant choisis par convention sociale.
C’est cette philosophie aristotélicienne qui ouvre la voie à des égarements de lecture et de traduction, quand on cherche la cohérence du texte avec l’homme, son langage, ses conventions sociales, au lieu de chercher la cohérence avec Dieu, ses commandements, son plan (Genèse 1:27-28) : «Dieu créa l’homme à son image, il le créa à l’image de Dieu, il créa l’homme et la femme. Dieu les bénit, et Dieu leur dit : Soyez féconds, multipliez, remplissez la terre…» et (Esaïe 66:9) : «Ouvrirais-je le sein maternel, Pour ne pas laisser enfanter ? dit l’éternel; Moi, qui fais naître, Empêcherais-je d’enfanter ? dit ton Dieu».
L’avenir de l’humanité appartient aux «pro-vie».
L’avortement inscrit dans la constitution française: le vote de tous les députés et sénateurs par département
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